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Artefact W1-03: Allocution prononcée lors du souper du 37e Régiment des transmissions

Soumis par : BGén Jack Partington, ARC (à la retraite)

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Saint John (Nouveau-Brunswick) – 29 mars 2014

On m’a invité à participer à la célébration du 110e anniversaire du 37e Régiment des transmissions. Mon grand-père était le premier commandant de l’unité, mise sur pied en 1904 à Saint John, au Nouveau-Brunswick. On m’a demandé de prononcer une allocution lors du souper suivant la cérémonie du Droit de cité le 29 mars. Ce qui suit est une copie de mon allocution.

« Vous célébrez votre 110e anniversaire en tant qu’unité des transmissions et je suis honoré de participer aux cérémonies et à ce magnifique souper régimentaire. Il y a aussi une autre date importante dans l’histoire des spécialistes des transmissions. Le 4 août prochain, il y a cent ans, la Grande-Bretagne déclarait la guerre à l’Allemagne. À titre de membre de l’Empire britannique, le Canada répond immédiatement et, le même mois, la compagnie des transmissions de Saint John prend le train en direction de Valcartier pour se joindre au premier Corps expéditionnaire canadien.

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Le major T. E. Powers

Le 30 septembre 1914, le Corps expéditionnaire, composé de 33 000 hommes et de 6 000 chevaux, quitte Montréal en bateau. Le convoi de 32 navires se réunit dans la baie de Gaspé et forme trois colonnes : les croiseurs de la Marine royale britannique se positionnent à l’avant et à l’arrière de chaque colonne pour les protéger des sous-marins allemands. Il quitte Gaspé le 3 octobre en direction de l’Angleterre. Le navire Andania (sixième navire du côté tribord de la formation) transportait les unités du Corps expéditionnaire suivantes : le 50e Gordon Highlanders, le 72e Seaforth Highlanders, le 79e Cameron Highlanders, le 91e Argyll Highlanders, le 14e Bataillon des Victoria Rifles et la 1re Compagnie des transmissions de la division, commandée par mon grand-père, le major Thomas Edward Powers de Saint John, au Nouveau-Brunswick.

À son départ de Saint John, la compagnie des transmissions existait déjà depuis 10 ans, donc la plupart des soldats s’étaient entraînés ensemble à Saint John ou à Valcartier et se connaissaient déjà. Le major Powers, qui avait alors 40 ans, avait enseigné à Saint John et avait été le commandant de la compagnie des transmissions. Il connaissait alors tous les 46 hommes très bien et, comme on peut le voir dans l’album familial, il était comme un père pour plusieurs d’entre eux. Les liens d’amitié entre les soldats étaient tellement forts que, lorsqu’ils écrivaient à leurs proches, ils parlaient souvent de leurs confrères. Il y avait également un lien de confiance entre les familles. Les lettres des soldats étaient souvent partagées avec d’autres familles de la région de Saint John et avec les journalistes.

Selon un télégramme reçu le 17 octobre, le convoi arrive à Portsmouth deux semaines plus tard et s’installe dans les camps militaires britanniques à Salisbury Plain, où ils s’entraînent pendant quatre mois.

L’unité passe une inspection royale, après laquelle on juge qu’ils sont prêts pour la bataille. Selon une lettre du spécialiste des transmissions Leslie Creighton, un cornettiste dans la fanfare régimentaire qui était chargé de s’occuper des chevaux, l’inspection est performée par le roi George, la reine Mary, Lord Kitchener, Winston Churchill, Earl Roberts « et plusieurs autres que je ne reconnaissais pas ». Pendant l’inspection de Lord Kitchener, Creighton dit s’être tenu tellement droit pendant le garde-à-vous que ses pieds se sont engourdis. Ils partent pour la France en février 1915.

Le 17 avril, la division s’avance à la première ligne de tranchées, située juste au nord d’Ypres, en Belgique. Le changement d’environnement ne peut pas être plus surprenant. La première ligne est un bourbier rempli de rats, de puces, de poux, d’excréments et de cadavres d’hommes et d’animaux victimes des attaques précédentes.

À l’aide des lettres écrites aux familles des soldats, le Telegraph de Saint John est en mesure de rapporter au public le travail de l’unité des transmissions de Saint John sur la première ligne :

w1-3-2Les spécialistes des transmissions doivent s’aventurer sur le terrain pendant la nuit pour réparer les lignes de communication reliant les tranchées au quartier général lorsqu’elles sont touchées par les tirs d’artillerie. Il y a quelques semaines, LeLacheur, Creighton et quelques autres spécialistes des transmissions effectuaient des réparations dans des poteaux lorsqu’ils se sont fait bombarder par les Allemands. En explosant, les bombes illuminaient les alentours. Chaque fois qu’une bombe éclatait, ils se jetaient par terre et se mettaient à l’abri. Nous ne savons toujours pas si LeLacheur a été touché par un tireur d’élite ou s’il s’est blessé au cours d’une autre fonction. Ses parents et ses amis attendent avec impatience d’en apprendre plus au sujet de sa condition.

L’attaque du 22 Avril

Seulement cinq jours après leur arrivée dans les tranchées, les Canadiens se font violemment attaquer. Les Allemands lancent soudainement un puissant barrage d’artillerie qui couvre la première ligne en entier, en passant par la 45e division algérienne positionnée au flanc gauche, la 1re division canadienne positionnée au centre et la 28e division britannique positionnée à droite. La ville se fait bombarder, des édifices s’écroulent et les réfugiés civils sont chassés vers le sud, ce qui bloque les routes au moment où de nouvelles troupes tentent de s’avancer. Cependant, le pire est à venir.

Gaz

Environ une heure après le lancement du barrage d’artillerie, un nuage gris-vert de gaz toxique s’échappe des tranchées ennemies et flotte lentement en direction des lignes françaises et algériennes. w1-3-3Les Allemands avaient installé plus de 5 730 bonbonnes de chlore dans leur première ligne et avaient relâché 106 tonnes de gaz par l’entremise de tuyaux en caoutchouc qu’ils avaient étendus dans le no man’s land. L’effet sur la première ligne française est instantané. Les hommes qui réussissent à se tenir debout se sauvent en criant et en suffoquant jusqu’à ce que le gaz les rattrape. Le gaz s’infiltre dans les tranchées et dans les casemates où les soldats cherchent à s’abriter.

Le chlore extermine les troupes alliées de la manière la plus horrible. Ceci crée un espace vide de trois miles et demi à la gauche de la division canadienne, par laquelle les soldats d’infanterie allemande s’infiltrent.

Cette attaque menace d’encercler les divisions canadiennes et britanniques.

Comme plusieurs d’entre vous le savent, l’attaque est contenue, ils défendent la ligne et les soldats d’infanterie allemande reculent. Cette réussite est attribuable au travail des spécialistes des transmissions, qui se battent à pied et à cheval pour garder intactes les lignes de communication entre les quartiers généraux des divisions, les brigades et les bataillons. Le travail des spécialistes des transmissions permet aux brigadiers Turner et Currie de redéployer les unités d’infanterie au flanc gauche, de demander du soutien d’artillerie et de combattre l’ennemie. Quelques jours après la bataille, Turner écrit dans son journal : À 18 h le 22 avril, je croyais vraiment que tout était perdu!

Voici un des reportages du Telegraph de Saint John :

DEUX FILS AU COMBAT – UN DANS LA BATAILLE D’YPRES

Madame Fraser apprend que le caporal F. W. Fraser est en sécurité

Le caporal Fraser est un diplômé de l’université Mount Allison et un soldat dans le 14e Bataillon du Régiment royal de Montréal. À la suite de l’attaque au gaz, ils se sont avancés pour repousser l’ennemie.

Le caporal Fraser écrit : Notre unité était dans le cœur de la bataille et nous avons été en mesure de défendre la ligne pendant plusieurs précieuses heures. Malheureusement, nous avons perdu nos cinq officiers et 85 hommes. Notre peloton a souffert, peut-être même plus que les autres, car seulement neuf de nos hommes ont répondu présents à l’appel une fois que nous avions été relevés. Entre le 15 avril et le 2 mai, nous avons pu retirer nos bottes qu’une seule fois et, pendant cette brève période, nous nous sommes reposés que quelques heures. Nous allons maintenant bien et nous rattrapons notre sommeil pendant que nous le pouvons.

Notez que les soldats faisaient souvent référence à leurs bottes et à leurs vêtements dans leurs lettres, une subtile indication de leur misère. Si ces lettres avaient été plus détaillées, elles n’auraient possiblement pas passé les censeurs militaires. Habituellement, les soldats étaient relevés après environs quatre jours dans les tranchées. Ils pouvaient alors prendre un bain, se reposer et recevoir des vêtements propres. Pendant cette bataille, les soldats ont très peu bénéficié de ces conforts.

La contre-attaque du 23 Avril

À la suite de l’attaque au gaz, l’ennemie entre dans les tranchées anciennement occupées par les Français et les Algériens et continue d’avancer. Les bataillons canadiens, qui s’étaient retournés pour faire face à la menace, résistent à cette avance. Les combats corps à corps et les coups de feu continuent tout au long de la nuit. Tôt le matin du 23 avril, les 1er et 2e bataillons de la 1re Brigade, commandée par le brigadier Mercer, sont ordonnés de contre-attaquer. Ils sont soutenus par le tir de couverture de la 1re Brigade de l’Artillerie royale canadienne. Selon Max Aitken (plus tard connu sous le nom de Lord Beaverbrook), ces troupes perdent beaucoup d’hommes en s’aventurant, en plein jour, dans une zone de tir ouverte. Toutefois, ils arrêtent l’ennemie et réussissent à défendre et à maintenir « l’intégrité de la ligne alliée au moment le plus crucial. Ils [tiennent] bon jusqu’au soir du dimanche 25 avril, lorsque de nouvelles troupes [prennent] la relève de ce qui [reste] du bataillon. »

Max Aitken continue : Le capitaine [sic] T. E. Powers, de la compagnie des transmissions sous la commande du général Mercer, a maintenu la communication, malgré le fait que la première ligne se faisait bombarder, ce qui ne cessait de couper les lignes de transmission. La compagnie a fait un travail remarquable, mais cela a couté la vie de plusieurs hommes. (Sir Max Aitken, Canada in Flanders: The Official Story of the Canadian Expeditionary Force, Vol. 1, déc. 1915)

L’attaque du 24 Avril – gaz at artillerie

Entretemps, l’ennemie exerce une pression constante sur les bataillons de la 2e Brigade, commandée par le général Currie. À 4 h, le 24 avril, les Canadiens se font attaquer au gaz une seconde fois et se font lancer un puissant barrage d’artillerie qui détruit les tranchées. Les soldats sont ordonnés d’utiliser un mouchoir ou un pansement imbibé de bicarbonate de soude, d’eau ou d’urine pour se protéger du chlore, mais le gaz est si intense qu’il les aveugle. Ceux qui ne sont pas tués instantanément sont ordonnés d’exécuter un repli dans une ligne de tranchées à l’ouest des lignes de brigades commandées par Mercer.

Un reportage du Telegraph de Saint John :

Madame Powers, la femme du major T. E. Powers, a reçu une lettre de son mari ce matin dans laquelle il raconte que son unité était récemment en première ligne lors d’un violent combat en France. Ils étaient dans le feu de l’action pendant huit jours, durant lesquels il n’avait pas eu la chance de retirer ses vêtements. Malgré le combat acharné, tous ses hommes s’en étaient tirés sains et saufs, à l’exception de Lou LeLacheur, qui avait été blessé.

Les lettres du major Powers cachaient souvent l’intensité des combats. Cependant, certaines lettres écrites par d’autres soldats offraient plus de détails, que les familles partageaient entre elles. Par exemple, le spécialiste des transmissions W. J. Lloyd écrit à sa mère : Mon cheval a été touché au nez et aux jambes, mais je ne suis pas blessé. Nous avons été bombardés assez sévèrement. Le cheval du major Powers a été atteint à six endroits.

Une toile de la deuxième bataille d’Ypres peinte par Richard Jack, de la collection Beaverbrook du Musée canadien de la guerre
Une toile de la deuxième bataille d’Ypres peinte par Richard Jack, de la collection Beaverbrook du Musée canadien de la guerre

Un autre héros canadien de la deuxième bataille d’Ypres est le lieutenant-colonel John McCrae, un médecin militaire de la 1re Brigade de l’Artillerie royale canadienne, qui soutenait la brigade d’infanterie commandée par Mercer pendant la contre-attaque. Dans une lettre écrite à sa mère, McCrae utilise le mot « cauchemar » pour décrire la bataille. Il écrit : En 17 jours et 17 nuits, nous avons pu retirer nos vêtements et nos bottes à quelques reprises seulement. Pendant tout le temps que j’étais éveillé, l’échange de tir n’a pas cessé une minute… De plus, nous avions un arrière-plan permanent de cadavres et de blessés et nous avions constamment peur que la ligne cesse de tenir. C’est le 2 mai, à la suite de cette bataille, qu’il compose son fameux poème, Au champ d’honneur. Vous reconnaitrez sûrement sa dernière strophe :

À vous jeunes désabusés
À vous de porter l’oriflamme
Et de garder au fond de l’âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d’honneur.

John McCrae est décédé en France en janvier 1918 des suites d’une pneumonie et d’une méningite. Il est enterré dans un cimetière du Commonwealth War Graves Commission, près de Boulogne-sur-Mer.

Ses paroles, aussi vraies maintenant qu’elles l’étaient à l’époque, nous parlent encore aujourd’hui. Elles ont depuis été maintenues par les soldats, les marins et les aviateurs canadiens pendant la Deuxième Guerre mondiale, la guerre de Corée et pendant les 45 ans de la guerre froide, ainsi que pendant la guerre du Golfe, la guerre de Bosnie, la guerre d’Afghanistan et la guerre en Libye.

Dernières Remarques

J’aimerais terminer en vous rappelant qu’en août, il y a de ça 100 ans, la compagnie des transmissions de St John quittait la ville en direction de la Première Guerre mondiale. L’an prochain, vous aurez une raison de plus pour prendre une pause et réfléchir à leur performance héroïque dans la deuxième bataille d’Ypres et au fait que les Canadiens ont défendu la ligne lors de la première attaque au gaz dans toute l’histoire des guerres. Ce récit devrait éliminer tout doute que les transmissions, sous toutes leurs formes, font légitimement partie des armes de combat. Vous avez mérité vos honneurs de guerre ainsi que votre place dans l’histoire canadienne. Le Canada est fier de vous et je sais que votre premier commandant, Thomas Edward Powers, serait fier de vous également.

Que Dieu bénisse le 37e Régiment des transmissions et tous ceux qui y ont servi.

Merci. »

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